Première hypothèse

L'objet filmé se transforme, il ne revient pas à son point d'origine, et sa transformation ne suit pas un développement géométrique, narratif ou formel. L'organisation du film répond à des critères que l'on ne peut n'y prévoir, n'y déduire ; c'est en ce sens que mon travail se distingue des premiers travaux de Paul Sharits. La question de l'usage du flicker n'est pas spécifique à Paul Sharits ; il se trouve que le flicker et ses usages multiples permettent de mettre l'accent sur des modalités qui activent des mécanismes de notre vision et déclenchent des processus de participation intense de la part des spectateurs. Le flicker, qu'on le veuille ou non, un peu comme les drones, a de fortes potentialités immersives et ce malgré le fait qu'il puisse déclencher un rejet immédiat. Mais le rejet est constitutif de l'expérience, il en est une modalité.

 

 

M.B. : La base d'Affection exonérante a été réalisée avec un téléphone portable. On perd, d'une certaine manière, l'entité du photogramme constitutif du cinéma qui est aussi à la base du flicker film. Quelle incidence a eu ce changement de support sur ta façon de concevoir cette vidéo ?

 

y.b. : S'il est vrai que les images du film viennent d'un téléphone portable, leur traitement via le logiciel de montage que j'utilise permet de les travailler à l'image prêt. Dès lors, il n'y a pas vraiment une grande différence entre la pratique de l'image par image au moment du tournage lorsque je fabriquais des flicker en format film comme ceux de R (1975) ou New York Long Distance (1993), avec ceux que j'ai mis en place en vidéo dans Still Life (1997) ou avec Final cut pour Hezraelah (2006) et Affection exonérante.

 

 

Recourir à un portable m'a permis de saisir (enregistrer) le clignotement - en fait le vacillement de la lampe de mon atelier. En utilisant le portable pour la filmer, je n'ai fait qu'accentuer, lors de l'enregistrement, cet effet de clignotement. 

Par la suite, j'ai augmenté et modifié ce scintillement en recourant à des inversions chromatiques, en opposant du positif à du négatif, en grossissant l'ampoule... J'ai par ailleurs composé des entrelacs de séquences selon des clignotements progressifs ascendants ou descendants. 

 

M.B. : Rétrospectivement, en quoi Affection exonérante s'inscrit-elle dans la lignée de certains films structurels que tu as réalisés dans les années 1980 ? Je pense notamment à des films comme Sans titre 84 (1984) ou Enjeux (1984) où tu as recours à un découpage de l'image par bandes verticales.

 

y.b. : Si ce film s'inscrit dans la lignée des films structurels que je faisais dans les années 1970 et 1980, c'est parce qu'il vient clore un chapitre important de mon travail. En effet, j'ai consacré l'année 2007 à mener à bien un projet d'exposition sur Paul Sharits et une publication lui étant dédiée. Paul a été un ami important à plus d'un titre, il a su m'aider alors que jeune cinéaste je ne savais pas très bien comment m'orienter dans le champ du cinéma expérimental, en m'invitant à présenter mes travaux aux États-Unis. J'avais repéré que beaucoup de ses films s'inspiraient du musical, et ce point nous avait permis de nous rapprocher, tant est si bien que, au début des années 1980, j'avais entrepris la publication d'un ouvrage sur son travail. De toute évidence c'était trop tôt, ou pas le meilleur moment.