Première hypothèse

Aussi lorsque je me replongeais dans ses archives, en découvrant des films et des documents, des envies ont ressurgi par échos plus ou moins conscients. Une fois le projet abouti, l'exposition faite, l'ouvrage en cours, j'ai voulu d'une certaine manière en finir. Affection exonérante en est la trace manifeste. Clore et aller ailleurs. 

Cet ailleurs se déployant par une liberté dans l'usage du son pour ce film que je n'aurais pu / su me permettre dans les années 1970 ou 1980. Visuellement, et par l'usage du flicker, par les différents patterns que je travaille dans le film, je renoue avec des travaux antérieurs, mais je me nourris d'autres choses que sont notamment tous les films à textes que j'ai fait dans les années 1990 et 2000 et qui m'ont permis d'envisager d'autres articulations au sein des flicker. Affection exonérantebénéficie de ces acquis. 

 

M.B. : Le son, effectivement, a ici une importance capitale qui vient renforcer l'impact visuel. Pourrais-tu m'en dire davantage sur la façon dont tu as prémédité cette bande sonore ? Comment l'as-tu mixée ?

 

y.b. : Oui, le son est en effet capital dans ce film. Alors que je travaillais la bande image, j'écoutais à la fois de la musique, des programmes de radio divers sur Internet, et parfois, quelques œuvres particulières m'inspirant, j'en ai enregistré des bouts. Je travaille sur une pièce qui donne sur la rue, et les bruits de celle-ci sont à la fois proches mais pas pesants. Lorsque des livreurs déballent des caisses de bouteille de bière ou autre, le son qui provient de la rue est pour le moins intéressant, j'ai enregistré quelques séquences que j'ai mixées avec une partie de Hymnen 3 de Karlheinz Stockhausen. J'aime de nombreuses pièces de musique de ce musicien, ce qui m'intéressait plus particulièrement dans cette œuvre, c'était la masse des strates sonores qui se mêlent et produisent un flux de matière dont j'aime à penser que le tissu visuel d'Affection exonérante partage aussi. 

 

Les sons que j'ai récupérés, je les ai collés, superposés brutalement à cet extrait d'Hymnen, m'appropriant / dénaturant (pas vraiment) le travail du compositeur afin de conduire à un paradoxe au moment ou on s'y attendra le moins. Faire qu'au moyen de la musique, soit remis en cause la fascination qu'a pu exercer la proposition filmique, déjouer le confort de notre regard et de nos certitudes qui attendaient l'augmentation irrésistible du crescendo. Je voulais briser, mettre un terme à ce savoir-faire, à ce plaisir esthétique. Donc la pièce est montée à partir de la fin du son.

 

M.B. : Le choix de filmer cette source lumineuse me semble emblématique d'une certaine empathie du spectateur vis-à-vis de l'image, comme une mise en abyme du dispositif de projection lumineuse. La fin abrupte de la vidéo vient casser notre crédulité et cet effet hypnotique. Cherchais-tu à créer un effet séducteur pour mieux le mettre en péril et renvoyer ainsi le spectateur à sa propre condition, comme dans un mouvement de distanciation brechtienne ?

 

y.b. : Je pense avoir commencé à répondre à cette question ci-dessus. L'une des particularités des flicker, autant que des drones, c'est leur pouvoir hypnotique, la capacité qu'ils ont de nous fasciner, leur dimension immersive importante. Connaissant cela, je voulais en jouer, ou plus exactement m'adresser et faire qu'on se pose la question de cette fascination. Je ne sais pas si j'avais pensé à ce mouvement de distanciation brechtienne, ou alors sans m'en rendre compte. Par contre, je sais que je souhaitais casser quelque chose. J'ai toujours, et ce quelque soit le type de film réalisé, utilisé des techniques, des procédures qui visaient à se ruiner.